LA ISLA MINIMA
d'Alberto Rodriguez
Choisir un premier film dont j’aimerais parler n’est pas simple, mais “La Isla Minima” d’Alberto Rodriguez s’est vite imposée. Je connais peu le cinéma espagnol, mes rares expériences étaient quasi toujours signées Pedro Almodovar; mais mon amoureux en est friand et il me fait découvrir peu à peu sa diversité. Parfois miraculeusement on peut le voir en salle. C'est comme ça que j’ai découvert la pépite “La Isla Minima” et ce thriller andalous m’a enchanté.
Cette histoire est avant tout l’histoire de deux hommes, deux policiers mal assortis. Ils se retrouvent au milieu de la campagne andalouse qu'ils ne connaissent pas, pour élucider la disparition de deux sœurs de 14 et 16 ans, le tout le 20 septembre 1980.
Pedro, interprété par Raúl Arevalo, est le jeune loup, bientôt papa, l’incarnation de cette Espagne post franquiste qui se cherche. Puis il y a Juan, joué par Javier Gutierez Alvarez, un policier d'une petite quarantaine d'année ayant œuvré sous Franco, et qui traîne avec sa silhouette la suspicion.
Les corps des deux sœurs sont trouvés dans un bras du fleuve qui flanque le petit village. Très rapidement, ils arriveront à cette conclusion:plusieurs filles ont disparu, toujours à la même époque de l’année, lorsque la fête foraine est là. Il y en a eu au moins trois durant les années précédentes.
Cette histoire aurait pu n'être qu'un simple thriller de base, efficace et bien mené, mais c'est plus que ça ! Le réalisateur joue avec les superbes paysages pour nous envoyer des signaux contraires. On est plongé tout de suite dans une ambiance à la True détective, avec le binôme, la musique, le rythme des images, une magie qui prend immédiatement. Dès le générique, les magnifiques photos de l’artiste Hector Garrido vous font vous interroger sur ce que vous voyez: des images d’un cerveau ou des photos de la campagne andalouse ?
Les couleurs 80’s sont utilisées pour rendre digeste les horreurs que l’on croise. Pas une image sans cette lumière ocre et chaleureuse, pas une scène sans touche de marron “chocolat” ou de jaune moutarde, rendant presque chaleureux ce village pourtant pauvre, austère et rude.
Cette histoire est aussi portée par la météo. Il fera toujours beau, et ça accompagnera ces policiers tout au long de leurs investigations. La pluie ne sera présente qu’au moment du dénouement de l’intrigue, rendant l’image abrupte, violente, et froide comme la lame d’un couteau, comme la situation.
J’aime ce thriller, j’aime sa forme, et ce twist de fin qui nous fait vaciller sur nos certitudes. J’apprécie tout particulièrement l’ancrage de ce film dans son époque, cette ère Post Franco, dans une Espagne très marquée qui se cherche et cache ses divisions.
Il y a un vrai discours sur la pauvreté, et la crise que traversait cette époque. Les jeunes filles disparaissent car tout le monde les croient parties dans un autre pays. mais chacun est tellement occupé à survivre que personne n’y fait cas.
Le seul qui semble être adapté à son époque, et à ses codes, est Juan. Il trouve sa place, et agit correctement en ne gardant comme séquelle de son passé qu’une légère propension à la violence.
Il y a dans ce film une vraie vision de l’importance que l’on donne aux femmes pendant ces périodes difficiles. C'est d’abord la femme de Pedro, inexistante à l’écran presque autant que dans la vie de son époux. Elle n’est là que pour porter l’enfant. Les victimes et Marina, toutes abusées pendant des mois avant leurs disparitions, toutes prêtes à fuir pour survivre, puis toutes évaporées dans la nature, et pourtant cela n'inquiète presque personne.
Ce sont des êtres fantomatiques voulant exister, mais au final elles ne sont réifiées que par des hommes. Celle qui semble la plus vivante est la maman des adolescente tuées, mais il est clair que pour pouvoir trouver sa place elle a du passer sous les fourches caudines de la société. Elle semble presque aussi jeune que ses filles, et elle ne se confronte pas à son mari qui a un comportement de butor, elle passe par Juan. Et pour témoigner, elle va près d’un calvaire hors de la ville, elle ne prend une place dans la société que loin de ce qui l’entoure quotidiennement.
J’ai adoré ce film, il n’est ni manichéen, ni désabusé, il est comme un livre de photos sur papier glacé, beau et sans compromis. Ce que l’on voit peut piquer les yeux, mais ce n’est que le reflet de la vérité de l’homme derrière l’objectif.